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Baisse de niveau

9 Août 2008, 19:11pm

Publié par Fabien Besnard

Non, je ne veux pas parler de la baisse récente du niveau de mes billets (ni de celle de certains commentaires), mais de celle qui affecte les étudiants sortant de Terminale. On dit souvent que leur niveau baisse, affirmation que certains ne ressentent pas le besoin de réfuter sous prétexte qu'elle daterait de Cicéron. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Tout d'abord, pour éviter de dire trop de bêtises, je m'en tiendrai à mon domaine, même s'il serait nécessaire de faire quelques incursions en français, puisque cette matière a des répercussions sur toutes les autres. Enfin, les observations qui suivent proviennent de mon expérience devant des classes de Lycéens, et d'étudiants de 1ere année post-bac, essentiellement, mais aussi de correction de copies de bac et de concours niveau bac, et enfin de discussions à bâtons rompus avec les étudiants et les collègues. Bien qu'il n'y ait aucune rigueur scientifique dans tout ceci, la convergence de ces observations me semble suffisamment claire pour être digne d'être mentionnée, d'autant plus qu'elle rejoint des conclusions basées sur des faits plus quantitatifs, dont je donnerai dans la suite quelques exemples en lien.

J'en viens maintenant au fait. Les points faibles, en mathématiques, des étudiants en fin d'études secondaires aujourd'hui sont, principalement et à peu près dans l'ordre : 1) la capacité d'analyser ou de s'adapter à une situation nouvelle, 2) le raisonnement, 3) la clarté de l'expression, 4) l'usage du formalisme 5) la compréhension des notions fondamentales, 6) le calcul. Seule reste à peu près intacte la capacité d'appliquer une méthode type ou un algorithme, même complexe.

Quelles sont les causes de ce désastre ? Je discerne trois causes immédiates. La première est un manque de pratique et d'entraînement en mathématiques, la deuxième est la maîtrise insuffisante du français, la troisième est un manque de travail. Ces causes immédiates sont à leur tour les conséquences de trois causes plus lointaines. La première est la pédagogie « centrée sur l'élève », qui a connu un grand essor depuis les années 70-80, et dans lesquelles les élèves sortant aujourd'hui du secondaire ont été entièrement baigné. Cette pédagogie a inspiré des changements de programmes, d'organisation et de pratiques au sein des classes, dont les conséquences furent nombreuses et pour la plupart fâcheuses (voir une analyse des conséquences à l'entrée en 6e ici. Un seul exemple : 60 % d'échec à la question "combien vaut 60 divisé par 4 ?").

La deuxième cause est un choix politique datant lui aussi des années 80, et qui a consisté à assigner à l'école une mission qui n'est pas la sienne : résoudre le problème du chômage en multipliant les diplômés. Il ne fait pas de doute pour moi que l'augmentation, sans limite a priori, du niveau d'instruction général de la population est l'objectif principal de l'école, et que si, ce faisant, on contribue à diminuer le chômage, c'est une excellente chose. Ainsi l'objectif fixé à 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac n'a rien d'absurde en soi. Au contraire, il est enthousiasmant si l'on se donne suffisamment de temps et de moyens pour y parvenir sans sacrifier la qualité à la quantité. Un tel effort a été réalisé dans les années 45-60 dans le premier cycle secondaire (
voir ici). Malheureusement, on a cédé à la tentation d'abaisser le niveau de l'examen pour augmenter le pourcentage de réussite, et simultanément d'augmenter dans des proportions jamais vues le nombre de lycéens (voir ici, où l'on se glorifie d'avoir doublé la proportion de bachelier par génération entre 1985 et 1995, un résultat obtenu en faisant passer dans le même temps le taux de réussite à l'examen de 68 à 80%. Or depuis 1995 cette proportion stagne. On peut se dire qu'on aurait mieux fait de travailler sur le long terme et regretter cette marche forcée.). Même en l'absence de changement de programme ou d'horaire, la simplification de l'examen final conduit mécaniquement à la simplification des exercices d'entraînement. En résumant par un exemple, on pourrait dire que de plus en plus (en proportion d'une classe d'âge) d'étudiants sortant de Terminale sont capables d'intégrer x au cube, mais que de moins en moins sont capables d'intégrer sin x au cube.

Enfin, la troisième cause est la transformation de la filière scientifique en filière généraliste. Il me semble qu'augmenter de façon intelligente le taux de bachelier dans la population pourrait consister à diversifier les filières, afin que les profils les plus divers puissent accéder à la réussite. Une telle logique a présidé à la création des bac pros. Dans l'enseignement général, on a fait l'inverse, et l'on peut craindre que cette tendance se poursuive et même s'accentue si l'on en croît les propositions 4 et 9 de ce 
rapport du Sénat, ainsi que certaines déclarations de l'ancien maire de Neuilly. J'ajouterai qu'au niveau de la Terminale S, une certaine spécialisation me paraît souhaitable, les futurs étudiants en médecine, par exemple, n'ayant ni le même profil ni les mêmes besoins que les futurs élèves ingénieurs.
 À ce propos, je vous invite à lire cet article de Daniel Duverney (à compléter par celui-ci, qui aborde aussi la physique), qui montre clairement que la baisse du niveau en mathématiques à partir de 1995 procède d'une volonté politique de rééquilibrage en faveur des SVT dans le cadre d'une Terminale S de plus en plus généraliste. Ironiquement, il semble que cette politique, ait entraîné une baisse quantitative en plus d'une baisse qualitative. Effectivement, on peut comprendre la désaffection pour une discipline de plus en plus centrée sur la résolution d'exercices stéréotypés.

Notons que les pédagogies "centrées sur l'élève" (pour ne pas dire l'apprenant), ou encore constructivistes, avaient pour objectif déclaré de lutter contre le rabâchage et de promouvoir les "têtes bien faites" au détriment des "têtes bien pleines". Le slogan "apprendre à apprendre" est emblématique de cette conception de la pédagogie. Or on remarque que ce qui s'est produit est exactement l'inverse. En effet, en voulant supprimer la répétition dans l'apprentissage, il est vrai fastidieuse (mais surtout pour l'enseignant !), on a échoué à fixer des méthodes et à donner des réflexes dans les petites classes. Ce faisant, les enseignants des niveaux supérieurs ont bâti sur du sable, et en bout de chaîne (c'est-à-dire au bac pour le lycée, au brevet pour le collège), la catastrophe était tellement criante, que pour la masquer on a élaboré des exercices qu'on peut traiter sans rien y comprendre, mais qui sauvent les apparences par leur technicité. Prenons l'exemple du calcul d'un PGCD. À une époque pas si lointaine, on calculait le PGCD de deux nombres en classe de 4e en les décomposant en produit de facteurs premiers. Cette technique n'est plus envisageable puisque les nombres premiers ont disparu des programmes du collège. En effet pour s'apercevoir rapidement qu'un nombre est premier il faut maîtriser ses tables de multiplication, ce qui n'est plus le cas d'un grand nombre d'élèves du collège aujourd'hui (voir plus haut). Pour calculer un PGCD un élève (de 3e) est aujourd'hui censé appliquer l'algorithme d'Euclide. Cet algorithme utilisant des divisions successives, il se fait à l'aide d'une calculatrice. Vous avez saisi le tour de passe-passe ? D'une technique simple, efficace et intuitive, mais nécessitant une maîtrise des tables, on est arrivé à une technique trop complexe pour que la majorité des élèves en comprenne le principe mais qui requiert l'usage d'une calculette ce qui annule ipso facto la nécessité de maîtriser le calcul mental. Bien sûr on habillera le tout d'un vernis pédagogique sur l'importance de maîtriser des algorithmes (le mot algorithme est très présentable, mais il ne signifie rien d'autre qu'une recette ne nécessitant aucune initiative ni aucune réflexion). Il ne fait aucun doute que l'algorithme d'Euclide est fondamental et qu'il est bien plus efficace pour les grands nombres que la technique de décomposition en facteurs premiers, cependant, en se cantonnant aux petits nombres que l'on peut décomposer par le calcul mental, on acquiert une intuition et finalement une compréhension, bien plus profonde.

Aujourd'hui quand on présente une notion à un élève, disons de Seconde, on se rend compte que tout est un obstacle. Les fractions sont des obstacles, les racines carrées également, etc... Si vous rédigez un exercice mettant en jeu des fractions, des racines et des valeurs absolues, vous allez à la catastrophe. Par conséquent la tentation est grande de tout cloisonner, de faire en sorte de ne jamais cumuler les difficultés. Il est clair qu'on ne doit jamais présenter deux notions nouvelles en même temps, c'est un principe pédagogique de bon sens. Il est clair également que la première fonction du second degré qu'on présentera aura tendance à avoir des coefficients entiers, pour que l'attention se focalise sur ce qui est réellement nouveau. Mais lorsqu'il devient impossible, même après un peu d'entraînement, de sortir de ce qui ne devrait être que des exemples de départ, on se ferme la possibilité de faire vraiment des mathématiques, et surtout de les appliquer à des situations concrètes. En effet, tout problème qui n'est pas purement académique a toutes les chances de faire intervenir différentes notions (soyez sans crainte, le programme de physique du Lycée réussit le tour de force de se dispenser pratiquement de mathématique). Une autre conséquence est la perte de pratique. Si un élève de fin de Terminale a eu dans sa vie 10 heures de cours et d'exercices sur les fonctions trigonométriques, ces 10 heures représentent à peu près toute sa pratique de la chose. En conséquence, rien n'est acquis, rien n'est devenu fluide, et le colleur de maths sup ne s'étonnera plus de voir les étudiants tracer des cercles trigonométriques pour retrouver les propriétés de parité des fonctions cosinus et sinus. Ce manque de pratique dû au cloisonnement interne et à la simplicité technique extrême des exercices-type de bac, qui constituent l'horizon du système, se surajoute au manque de pratique engendré mécaniquement par la suppression d'heures de cours (rien qu'en TS, la proportion d'élèves ayant au moins 7 heures et demi de mathématiques par semaine a été divisé par deux entre 1994 et 2004). Là encore il est piquant de constater que la conséquence (le cloisonnement) est à l'exact opposé des intentions initiales des pédagogies en vigueur.