Rapport parlementaire sur l'enseignement des sciences
Un ami m’a fait parvenir le rapport parlementaire d’information sur l’enseignement des disciplines scientifiques dans le primaire et le secondaire. Je l’en remercie bien que la lecture en diagonale de ces 290 pages m’ait mis en rogne pour le restant de la journée. Je devrais peut-être même parler de désespoir tant l’emprise du pédagogisme est forte dans les conclusions du rapport.
Les parlementaires, chiffres à l’appui, dressent le terrible constat de la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques. Quelques raisons sont évoquées d’emblées : « Dans une société dominée par le consumérisme, les jeunes privilégient d’autres formations, comme l’économie ou le commerce, moins difficiles et plus prometteuses en termes de salaire», « le chercheur mal payé et travaillant dur n’est plus un modèle pour les jeunes ». En plein dans le mille ! Voilà qui soulève immédiatement deux questions pour peu qu’on accepte ce constat et qu’on dispose d’une cervelle en état de marche : 1) pourquoi un tel changement d’image ? 2) que peut-on faire pour redorer l’image du chercheur ? Et bien croyez-le ou non, la première question sera à peine évoquée et la deuxième pas du tout. C’est-à-dire que qu’après avoir constaté que le problème était mondial et sa cause principale sociologique, le rapport ne va plus le considérer que sous l’aspect de l’enseignement. Il est vrai que cet aspect n’est pas négligeable mais passer sous silence la cause principale pour s’intéresser uniquement à une cause secondaire paraît absurde. Je vois deux explications à cet étonnant mutisme. La première est que les rapporteurs aient voulu se concentrer uniquement sur le domaine qu’ils exploraient, à savoir l’enseignement des sciences dans le primaire et le secondaire. Si c’est le cas, il faudrait leur rappeler qu’un problème surgissant dans un domaine peut avoir sa cause et donc sa solution dans un autre, de même qu’une maladie peut s’exprimer par des symptômes localisés à un organe tout en ayant son origine ailleurs. Je crois que c’est le cas ici et je parlerai de la solution (selon moi) dans un autre post. La deuxième explication, est que les rapporteurs ont bien perçu cette problématique mais ont refusé consciemment ou non de l’aborder, soit par peur des implications politiques (s’attaquer à la dichotomie entre l’utilité sociale et la rémunération engendrée par la société ultra-libérale), soit parce qu’ils convaincus par avance de leur impuissance à résoudre les problèmes de société, soit encore parce que le culte de l’argent-roi leur sied. Dans tous les cas j’estime que c’est grave.
Et du côté de l’enseignement, quel est le constat, et quelles sont les solutions proposées ?
Je crains ici de lasser le lecteur en reproduisant en totalité "l’argumentaire" des rapporteurs. Je résumerai donc de façon lapidaire, qu’on me pardonne.
Globalement il ressort de ce rapport que :
1) l’enseignement des sciences (mathématiques incluses) est trop académique et doit devenir plus concret et faire plus de place à l’expérimentation.
2) Il n’y a pas assez de filles dans les filières scientifiques, c’est pas bien.
3) Les enseignants sont mal formés.
4) L’éducation est trop sélective en France. En particulier, la sélection par les maths, c’est mal.
5) Il faut faire preuve d’innovations pédagogiques. Ceci inclut : la main à la pâte, des maths vachement fun, de la pluridisciplinarité (vous dis-je !), et de l’évaluation sans disqualification (je traduis : mettre des bonnes notes à tout le monde, façon Antibi).
J’affirme que seul le point 3 n’est pas irrémédiablement frappé du sceau de l’idiotie, et je vais m’efforcer (vous verrez que ça ne sera pas trop dur) de le démontrer.
Premier point : l’enseignement des sciences est trop académique. Je ne discuterai même pas la question de savoir si c’est vrai ou faux, je montrerai simplement que ça n’a aucun rapport avec la question posée. En effet le rapport relève que l’Inde et la Chine font figure d’exception dans la désaffection globale des étudiants pour les sciences et forment des ingénieurs que le monde entier leur envie. Or l'enseignement des sciences est des plus académiques dans ces pays. Cette preuve est suffisante mais j’en donne une deuxième : si décroissance il y a dans le nombre d’étudiants choisissant les sciences c’est qu’on vient d’une situation meilleure. Or l’enseignement était-il moins académique il y a 20 ans ? Sûrement pas. Conclusion : soit « l’académisme » et le caractère abstrait de la formation scientifique n’ont aucun rapport avec la question, soit ils ont une action positive, contrairement à la pensée commune. Je laisse ce point en suspens concernant « l’académisme ». Mais je note que l’abstraction (évoquée systématiquement de façon péjorative dans le rapport) n’est pas un choix pédagogique, c’est une donnée de la science moderne. Einstein lorsqu’il était lycéen a assisté à une manifestation de ses condisciples étudiants contre la trop grande abstraction des programmes scientifiques de l’époque. Plus tard il a rendu la physique mille fois plus abstraite, mille fois plus vraie et mille fois plus belle. On m’objectera peut-être que la relativité et la physique quantique ne sont pas des sujets qu’on peut enseigner au Lycée, et que, même, elles ne sont guère indispensables à la majorité des ingénieurs. Certes, mais ce sont elles qui peuvent faire rêver les lycéens (et les autres), et l’on ne s’intéresse pas à la science parce qu’elle utile, mais parce qu’elle est belle (c’est d’ailleurs l’une des rares choses totalement justes qui est écrite dans ce rapport). Pour terminer sur ce point, je ne résiste pas à citer le rapport : "On peut citer ici quelques réflexions édifiantes de deux jeunes lycéennes reçues par la mission. La première, élève de seconde, a déclaré à propos de la physique: « Pour vous donner un exemple, on nous a rendu ce matin un contrôle auquel j'ai eu 6 sur 20. On nous avait demandé de calculer la masse de l'atome et de dire le nombre de protons, mais on ne sait rien de ce qu'est un atome ». Elle ajoute un peu plus loin qu'elle préférerait passer des heures à manipuler plutôt qu'à faire des calculs de puissances.". Voilà ce qui est censé nous édifier : une lycéenne s'avérant incapable de faire une division et un calcul de puissances, point culminant des mathématiques utilisée en physique en classe de seconde. Est-ce qu'on veut nous faire croire qu'on peut comprendre quelque chose à la science sans maîtriser l'arithmétique de base ? Soyons sérieux. Le programme de seconde en physique, totalement élémentaire, se limite à donner un minimum de culture scientifique et le niveau d'abstraction mathématique est tellement intense qu'il est à la portée d'un élève de cinquième (mais peut-être pas d'un parlementaire ?). Ce programme ne serait d'ailleurs pas si mauvais s'il s'adressait à des élèves de fin de collège. Le rapporteurs ont-ils réellement étudié leur sujet ou sont-ils prêts à reproduire les propos du premier élève venu pourvu qu'elles aillent dans le sens de leur préconceptions ?
Point numéro 2 : c’est un vrai problème, mais complètement hors-sujet également. En effet le rapport lui-même stipule que la proportion de filles dans les filières scientifiques progresse faiblement voire stagne. Elles ne sauraient donc être tenues pour responsables d’une décroissance de la population dans ces filières(*). On peut se demander si les rapporteurs ont cherché à raisonner sincèrement ou s’ils se sont contentés de surfer sur les vagues de la bien-pensance et des lieux communs. (Je n’ose évoquer une autre hypothèse qui serait celle d’une incapacité à raisonner.)
(*) bien que le nombre de filles dans ces filières ait pu baisser (je n'en sais rien), il a au pire baissé aussi vite que celui des garçon, ce qui montre que la désaffection des étudiants pour les sciences n’a rien à voir avec leur sexe. (Les rapporteurs croient bon d’écrire « genre », directement importé du féminisme puritain et politiquement correct sévissant outre-atlantique, en lieu et place de « sexe ». Qu’ils ouvrent un dictionnaire.)
Point numéro 3 : ce point n’est pas stupide contrairement aux deux précédents. Cependant les rapporteurs insistent sur a) le manque de formation des enseignants de physique-chimie à l’expérimentation, b) le manque de formation des professeurs des écoles aux matières scientifiques, c) le manque de formation des enseignants en sciences à l’histoire de leur matière. Sur le sous-point a) je ne me prononce pas faute d’information. Sur le b), il serait bon en effet que les professeurs des écoles disposent d’une telle formation, mais je considère qu’il est plus nécessaire encore qu’ils soient correctement formés à la grammaire, à l’orthographe et au calcul, matières dans lesquelles ils se doivent d’exceller. On ne peut pas leur demander d’exceller en tout, mais il est évident que des connaissances de bases en sciences s’imposent. Je ne saurais dire si elles sont ou non dispensées aujourd’hui, là aussi faute d’information. Cependant, je remarque qu’un débat sur ce point eu lieu il y a... plus d'un siècle, et accoucha de la fameuse « leçon de choses ». L’expression est devenue quasiment synonyme de cours ex-cathedra à apprendre par cœur, mais il faut souligner qu’à ses débuts, il s’agissait d’une véritable innovation pédagogique dont l’esprit était remarquablement proche de celui de « la main à la pâte » cher à Georges Charpak.
4) Ici le rapport cite Philippe Meirieu. J’ai à peine besoin d’en dire plus. Le point de départ du « raisonnement » est le suivant : en France la sélection se fait par les maths. Ce fut vrai, cela ne l’est plus. Qui prétend le contraire n’a pas fréquenté un conseil de classe depuis au moins 10 ans. Ce qui est vrai en revanche, c’est que la fusion des bacs scientifiques dans le seul bac S et la baisse considérable du niveau en mathématiques de cette section l’a de fait transformée en filière généraliste. Ainsi, des élèves dont le projet n’est pas particulièrement scientifique ou qui n’ont pas de projet particulier se retrouvent naturellement en S et contribuent à diminuer la vocation scientifique de cette filière. Ici le rapport fait des propositions intéressantes qui consistent essentiellement à revenir à une pluralité de bacs généraux, comme à l’époque des bacs A,B, C, D, etc... Il me paraît en effet nécessaire qu’à une diversité d’aptitudes corresponde une diversité de filières, et ceci dès le Lycée si l’on tient à ce que le secondaire reste (ou redevienne) un enseignement solide et non pas une immense garderie comme aux Etats-Unis. Cependant, et là je crains de ne pas me faire que des amis, qui a jamais démontré qu’un système centré sur la sélection par les mathématiques était mauvais pour la qualité de nos chercheurs ? Je veux bien l’admettre à condition qu’on me le prouve.
5) Dès que j’entends les mots « innovations pédagogiques » je sors mon revolver. Non que j’y sois hostile par principe, simplement les gens qui utilisent d’ordinaire cette expression y sont, eux, favorables par principe. Or ce n’est pas parce qu’on innove qu’on va forcément dans le bon sens, il faut évaluer et faire preuve de prudence car l’enjeu est de taille. En l’occurrence, l’école a subi plus de réformes et d’innovations dans les 30 dernières années que dans toute son histoire, et réclamer de nouvelles innovations face à une situation qui se dégrade ressemble fort à fuite en avant. Il convient avant tout de faire le tri entre ce qui a marché et ce qui a eu des effets désastreux. On peut aussi regarder ce qui marche à l’étranger, et ce que font les rapporteurs. Mais avec un biais évident : on nous rabâche du modèle finlandais (en insistant sur l'autonomie des établissements mais en omettant soigneusement d’insister sur le fait que les élèves finlandais travaillent dur et que les moyens consacrés à l'éducation y sont considérable) mais oublie d’aller voir en Inde par exemple. J’ai peur que les innovations qu’on nous prépare soient comme d’habitude un prétexte à faire des économies (un redoublement ça coûte cher donc on se ralliera à toute théorie pédagogique le proscrivant) tout en cachant la faillite du système (les notes ne cessent de baisser alors on casse le thermomètre et on se rallie à la théorie Antibi, voir ici et surtout ici). Etc…
En ce qui concerne « la main à la pâte » ou « maths en jeans », je ne considère pas que ce soient des entreprises idiotes ou inutiles, bien au contraire, mais croire qu’on trouvera en elles LA réponse au problème qui est posé, c’est simpliste. J’aurais l’occasion d’en dire plus sur la question ainsi que sur l’audition de Charpak dans un post ultérieur.
De toute façon, avant de se demander quelles géniales innovations vont nous sauver, on ferait mieux de se demander pourquoi ce qui marchait avant ne marche plus. Une fois de plus ils sont à côté de la plaque.
La suite bientôt...