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La réforme du lycée

21 Septembre 2010, 17:59pm

Publié par Fabien Besnard

La réforme du lycée sera mise en oeuvre en seconde à la rentrée 2010, en terminale à la rentrée 2012. Malgré le silence assourdissant des médias sur cet aspect de la question, cette réforme est d'une ampleur sans équivalent depuis le ministère Allègre sur les programmes et les horaires. Elle ne manquera d'entraîner des conséquences considérables, et, il faut le craindre, dramatiques.

 

Voici quelques extraits d'un article de Daniel Duverney lu dans la Gazette des mathématiciens (No 123). Les mises en caractères gras sont de votre serviteur.

 

"La classe de 1ere S perd ainsi 3h30 hebdomadaires d'enseignement scientifique. Par contre l'histoire-géographie y passe de 2h30 à 4h. Ainsi la classe de 1ere S voit-elle son horaire en sciences chuter lourdement, tandis que son horaire de culture générale augmente."

"Selon le Ministre, la nouvelle organisation [...] faciliterait la réorientation des élèves en première. [...] Posons concrètement le problème : réorientation de quelle série vers quelle série ? Imagine-t-on par exemple que, à la fin de la 1ere, un élève qui a suivi la voie littéraire ou la voie économique puisse se réorienter vers la voie scientifique (en admettant qu'il en ait le désir) ? Comment diable fera-t-il pour combler les lacunes d'une année entière d'enseignement scientifique, même réduit à la portion congrue ? [...] D'ailleurs, il n'y a jamais eu au lycée de réorientation en fin de 1ere, sauf de façon marginale. Les classes de 1ere et terminale constituent bien un cycle, considéré comme tel par les élèves et leurs familles, qui leur permet de se spécialiser."

"Il est très vraisemblable que cette "déspécialisation" de la classe de 1ere générale n'est qu'un premier pas vers une déspécialisation de l'ensemble du cylce terminal. Il y en a en effet deux façons de régler le problème de la "hiérarchie" (bien réelle) des séries :



- Revaloriser réellement la série littéraire, en laissant notamment une réelle possibilité aux élèves qui le désirent de suivre un enseignement moins spécialisé.

- Réaliser la fusion des trois séries autour d'un tronc commun "humaniste", c'est-à-dire supprimer, ou au moins affaiblir, la voie scientifique du lycée en tant que telle.

 

Il est tout à fait clair que l'option actuellement choisie par le ministère est la deuxième. Il s'agit d'une rupture franche par rapport aux préconisations du rapport de l'Inspection Générale sur la voie littéraire."

"Il est tout à fait évident que l'enseignement scientifique est difficile, qu'il demande de maîtriser de nombreux prérequis qui doivent être construits pas à pas. [...] Retarder d'un an la spécialisation des futurs scientifiques est donc une aberration."

 

La SMF diffuse également un communiqué commun avec l'APMEP dénonçant globalement cette réforme. Je retiens en particulier la phrase suivante :

"Un horaire de 4 h de mathématiques en classe entière, sans dédoublement, est une erreur fondamentale pour la [première] S qui voit la part de l'enseignement scientifique en net recul. Que peut-on raisonnablement espérer enseigner dans cet horaire ? De plus, les sauts pédagogiques et conceptuels que cet horaire va induire, de 4h en 1ere à plus de 6h en Terminale, va renforcer les difficultés de beaucoup d'élèves de cette série et, à terme, va accentuer la désaffection pour les études supérieures scientifiques déjà constatée."

 

Le No 124 de la gazette contient un article très instructif d'Eric Barbazo (président de l'APMEP) sur la réforme dite de "l'égalité scientifique", décidée en 1923 et appliquée en 1925. Cette réforme présente de grandes similarités avec la réforme actuelle des lycées, et il n'est pas interdit d'anticiper les effets à venir de la réforme d'aujourd'hui à l'aune de ceux qu'a engendré celle d'hier.

"Durant l'Entre-deux-guerres, une réforme de l'enseignement secondaire français, appelée réforme de l'égalité scientifique, impose au lycée un enseignement identique des sciences en général et des mathématiques en particulier, pour tous les élèves jusqu'en classe de première. [...]

Il s'agit donc officiellement de corriger l'un des travers de la réforme de 1902 dont les caractéristiques principales avaient été de mettre fin au monopole de l'éducation classique et humaniste et d'instaurer un enseignement scientifique aux valeurs éducatives reconnues et aux débouchés rapidement recherchés par les bons élèves. [...] Mais au delà des intentions affichées, c'est bien une volonté de réhabiliter un enseignement classique et recentré sur les humanités dont il est question. [...]

Le premier effet de la réforme de 1925 est visible dans les horaires des nouvelles classes qui accueillent désormais tous les élèves sans distinction de séries. On peut constater une réduction importante, d'environ une heure hebdomadaire, du volume horaire de mathématiques [...].

Dans la réforme de 1925, les professeurs de mathématiques dénoncent une classe terminale très spécialisée qui entraîne des sauts conceptuels très importants que beaucoup d'élèves n'arrivent pas à franchir. [...]

Le rapport qui en est réalisé en 1932 est sans appel sur les difficultés rencontrées dans les classes : la classe de mathématique ne joue plus son rôle de sélection pour une orientation scientifique choisie par les élèves désireux de faire des sciences qui se trouvent mélangés aux autres et obtiennent leur baccalauréat quitte à le présenter plusieurs fois. Les classes préparatoires connaissent ainsi un afflux considérable d'étudiants mal préparés, à l'esprit peu scientifique, attirés par les débouchés des grandes écoles mais qui ne peuvent faire face au niveau exigé.

Les enseignants de mathématiques condamnent massivement le principe d'égalité scientifique puisqu'un sondage réalisé auprès des adhérents de l'Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Secondaire Public en 1933 établit que 75 % rejettent la réforme. Le retour aux principes de la réforme de 1902 constitue désormais le leitmotiv de l'association jusqu'à la Seconde guerre mondiale."