Où est l'histoire des sciences ?
Ayant préparé un cours d'introduction à l'histoire des sciences pour mes étudiants, je me suis posé la question de savoir quelles pouvaient être leurs connaissances dans le domaine. J'ai donc épluché les programmes d'histoire-géo et de physique-chimie (pas de SVT, mon cours ne portant pas là-dessus) de tout le secondaire, de la 6e à la terminale (une expérience édifiante).
Le résultat de mes investigations est le suivant : les introductions des programmes de physique-chimie (souvent extraordinairement prétentieuses au regard des contenus réels) insistent énormément sur l'approche historique, mais aucune connaissance précise n'est jamais exigée, ni même suggérée (au contraire de notions de sécurité routière, de médecine, de sport, d'informatique, d'histoire de l'art... oui, oui, je parle bien du programme de physique-chimie...). La traduction dans les faits des bonnes intentions affichées dépend donc entièrement de la volonté et de l'investissement individuel des enseignants. Quant au programme d'histoire-géo, il relègue la plupart du temps la science à des thèmes optionnels. Voyons cela en détail.
En 6e un élève a une chance sur trois d'avoir un aperçu de la science grecque (c'est un thème optionel parmi trois dans la civilisation grecque, qui représente elle-même 25% du programme. À titre de comparaison, l'histoire des religions représente 20% du programme, et c'est obligatoire).
En 5e, on a droit à 1/4 de thème parmi 2 au sein d'un chapitre représentant 40% du programme. C'est-à-dire pas grand chose (essentiellement un paragraphe sur Copernic ou Galilée, on n'aura probablement pas droit aux deux).
En 4e, on aura une chance sur deux d'étudier un savant de l'âge des Lumières (soit un thème parmi 4 au sein d'un chapitre représentant 25% du programme. Donc je résume : une chance sur deux qu'un seizième du programme d'Histoire soit consacré à un savant). Dans ce programme de 4e on étudie pourtant l'âge industriel et ses bouleversements économiques, sociaux et religieux. Mais pas scientifiques. Darwin, Pasteur, Mendel (je n'ose parler de Dalton, Carnot, Faraday, Maxwell, Boltzmann) sont priés d'aller se rhabiller, et de faire un peu de place à... l'encyclique rerum novarum, qui est partie intégrante du programme.
En 3e les élèves étudieront très rapidemment (15% du temps) l'évolution technologique du XXe siècle sur un exemple obligatoirement issu de la médecine.
Mais le meilleur exemple du peu de cas qu'on fait de l'histoire des sciences, c'est la liste des repères chronologiques exigibles à la fin du collège. Sur 43 items chronologiques, aucun ne concerne la date d'une découverte scientifique. À mon humble avis on pourrait retenir à l'extrême minimum la date de la publication du dialogo de Galilée et de "de l'origine des espèces". Mais non. (Toujours à titre de comparaison, car vous imaginez bien que ce n'est pas du tout mal intentionné de ma part, 8 repères concernent directement la religion.)
Mais ne crachons pas sur le programme du collège : celui du Lycée est pire encore du point de vue de l'histoire des sciences, puisqu'il n'y en a pas du tout en 1ere, ni en Terminale (même dans l'option facultative des séries S. Il y a bien "la course à l'espace", mais ça n'est pas de la science.) En seconde, les plus chanceux (une chance sur deux) auront droit à environ 5h de cours sur "le nouvel esprit scientifique des XVIe et XVIIe siècle", c'est-à-dire sur ce qu'on pourrait aisément qualifier d'évènement le plus important des deux derniers millénaires, et que les anglo-saxons qualifient de "scientific revolution".
Bref, à la question "où est l'histoire des sciences ?", la réponse est : nulle part si on n'a pas de chance.