SnarXiv et Theodor Kaluza
J'apprends par le blog de Peter Woit, l'existence de l'hilarant site snarXiv.org : maintenant les frères Bogdanov n'auront même plus besoin d'écrire leurs articles eux-mêmes. Vous pouvez jouer à snarXiv vs arXiv, pour voir si vous réussissez à distinguer la parodie de l'original (notez bien que je n'ai pas dit le faux du vrai...). Personnellement je me fais avoir environ une fois sur cinq. Il y a vraiment des cas où l'on hésite...
L'article "you're so predictable" d'Albert-Laszlo Barabasi, sur physicsworld, n'a a priori rien à voir... et pourtant. Il défend l'idée que contrairement à ce que nous nous plaisons à imaginer, notre comportement est souvent très prévisible. Voilà qui apporte de l'eau à mon moulin (voir un débat récent en ces lieux). Et oui, comme Spinoza l'écrivait dans l'Ethique, "Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés".
Mais il ne s'agit pas de haute philosophie dans l'article de Barabasi. Celui-ci consiste surtout en un habillage "grandiose" d'une découverte finalement assez banale : lorsque nous sommes confronté à une accumulation de tâches, nous procédons tous de la même façon, en établissant des priorités. La partie la plus intéressante de l'article est celle où il prend l'exemple de la correspondance d'Einstein (le grand homme a reçu au moins 16 000 lettres et a répondu à plus de 14 000 !). Barabasi illustre sa théorie des priorités par les échanges entre Einstein et Kaluza. L'idée de Kaluza, qui date de 1919, est certainement la meilleure qu'on ait jamais eu pour l'instant dans le domaine de la recherche d'une théorie unifiant la gravitation aux autres forces. Elle a été complétée par Klein en 1926, a été intégrée à la théorie des cordes dans les années 70, et elle s'est incarnée d'une façon toute nouvelle dans la théorie de Connes. Pourtant Einstein, malgré un enthousiasme initial, hésite beaucoup avant de présenter l'article de Kaluza. Il tient à s'assurer que l'idée tient le coup sur le plan physique, et ce n'est que deux ans et demi après avoir reçu la première lettre de Kaluza qu'il se décide enfin à faire publier l'article. Aujourd'hui, alors que la physique théorique est traversée par des effets de mode comme jamais auparavant, Kaluza posterait simplement son article dans les archives, et n'aurait aucun mal à trouver un journal pour le publier. Mais il y a fort à parier que, n'ayant jamais reçu l'attention d'un "ponte", il y resterait enfoui pour toujours.