Le sondage : un nouveau critère pour l'éthique ?
Le numéro 10 (juin-septembre 2005) du magazine « Cerveau et Psycho », une émanation du très sérieux magazine « Pour la Science » contient un article intitulé « Sectes ou religions : quelles différences ? », par V. Saroglou professeur de psychologie à l’université catholique de Louvain. Cet article contient un certain nombre d’affirmations étonnantes. Ainsi « il paraît peu pragmatique d’envisager une suspicion généralisée par rapport au religieux intense.». J’avoue ne pas comprendre en quoi cela serait « peu pragmatique ». Par ailleurs une suspicion généralisée envers le religieux intense m’apparaît au contraire nécessaire. Faut-il rappeler le nombre de morts dû encore récemment au religieux intense ? Un peu plus loin, l’auteur évacue au détour d’une phrase les travaux des parlementaires français et belge sur la question sectaire, et met en avant dix critères qui lui paraissent raisonnables. Ces critères (rejet du monde extérieur, prosélytisme, etc…) me paraissent également raisonnables, mais pour savoir si ces critères sont effectivement perçus comme dangereux, l’auteur se base sur… un sondage auprès de 120 personnes ! Quel bel exemple de rigueur scientifique ! Il se permet même de classer les dix critères par ordre décroissant de dangerosité alors que les six premiers résultats sont tous dans la fourchette d’erreur qui doit être de l’ordre de dix pourcents pour un tel sondage. Au-delà du peu de crédibilité d’un sondage réalisé sur un échantillon aussi réduit de la population, le rôle du scientifique me paraît dangereusement brouillé dans cette affaire. S’il s’agissait de définir des critères de dangerosité des organisations sectaires pour le psychisme des individus, le professeur de psychologie V. Saroglou serait parfaitement dans son rôle. Lorsqu’il s’agit de définir ce que la société accepte ou non, qu’on me permette de me fier davantage à l’avis de parlementaires élus a priori pour ça qu’à celui d’un professeur en université armé d’un sondage ridicule. D’une manière générale, il me semble que c’est au législateur qu’incombe la tâche de définir « l’inacceptable », et surtout pas aux scientifiques. L’article de Cerveau et Psycho pose un problème qu’on peut replacer dans un contexte plus général. Les scientifiques doivent éclairer le législateur par des connaissances objectives (ou aussi objectives que possible), en l’occurrence préciser les dommages psychiques éventuellement subis par les adeptes, et non pas se substituer à lui. Malheureusement, les politiques ont de plus en plus tendance à ne pas assumer leur rôle et à se réfugier derrière des experts ou des comités d’éthique. Malgré l’estime que je peux porter à tel ou tel membre de ces comités, il me semble qu’il y a là une dérive à la fois de la science et de la démocratie.