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Scoop : François Bayrou élu !

13 Mai 2007, 21:59pm

Publié par Fabien Besnard

Un nouveau mode de scrutin, le jugement majoritaire, a été expérimenté lors des deux tours de la dernière élection présidentielle dans trois bureaux de vote à Orsay. Voir les détails ici. Lors du premier tour, le scrutin habituel dans ce bureau classait dans l’ordre Sarkozy et Royal puis Bayrou, éliminé du second tour comme dans le reste du pays. En revanche, avec le jugement majoritaire Bayrou était élu président (du moins sur Orsay !). Dès lors que des modes de scrutin peuvent influer de façon aussi décisive sur le résultat d’un vote, et par conséquent sur la vie politique, et même l’histoire d’un pays, il semble évident que le choix de ce mode revêt une importance fondamentale. Traditionnellement dans notre pays, le choix du mode de scrutin est du domaine des politiques qui sur cette question ont une attitude simple à résumer : la fin justifie les moyens. Or il se trouve que la Science a son mot à dire sur la question. La démocratie, et en particulier le suffrage universel, pose la question du choix collectif : comment faire un émerger un choix collectif à partir des préférences particulières ? Cette question n'admet pas de réponse immédiate puisque, comme on l’a vu, différentes procédures donnent des résultats différents. Des résultats paradoxaux peuvent même se produire, comme l’a réalisé Condorcet il y a déjà plus de deux siècle. Par exemple, dans une élection majoritaire à deux tours, comme le scrutin présidentiel français, un candidat qui battrait n’importe quel autre au second tour peut être éliminé au premier. Un tel candidat est appelé candidat-Condorcet (c’est plus joli que candidat cocufié…)  Si l’on se fie aux sondages, qui après tout ne se sont pas trop trompé cette fois ci, François Bayrou était un candidat-Condorcet aux dernières élections. Un mode de scrutin qui permet l’existence de candidats-Condorcet recèle donc une incohérence interne, que rien ne saurait justifier. Un mode de scrutin réellement démocratique ne doit donc pas permettre de telles incohérences. D’autres critères sont également à prendre en compte, comme la possibilité de triche : on peut imaginer qu’un parti suscite la formation dans le cas adverse de partis sous-marins, dont le seul but soit de tromper les électeurs et morceler l’électorat des adversaires. De telles pratiques se sont déjà vues, notamment dans le monde syndical. Le scrutin majoritaire à deux tours étant très sensible à l’émiettement des voix, comme on l’a constaté en 2002, il est également sensible à ce type de tricherie. Sans parler du chantage au vote utile, qui a probablement faussé les résultats de l’élection de 2007, et de la difficile émergence de forces nouvelles.

On peut bien sûr également critiquer le jugement majoritaire. Guy Carcassonne se demande s'il aurait permis d’élire un De Gaulle ou un Churchill. Outre que cet argument n’a aucune porté puisqu’il est totalement invérifiable, on peut rappeler que De Gaulle n’a pas été élu au suffrage universel majoritaire à deux tours en 45 ni en 58, seulement en 65. On aimerait qu’un constitutionnaliste de la trempe de Guy Carcassonne ne se sente pas autorisé à répondre à des vraies questions, qui vont au fond de la question de la légitimité démocratique, par des réflexions ironiques sur le patinage artistique. Cela est malheureusement révélateur de l’état de connaissance de ce que Condorcet appelait l’arithmétique politique dans les élites françaises. Si l' on veut juger d'un mode de scrutin, ce ne peut être qu’à l’aune de critères à la fois démocratiques et exempts de contradictions. Or une fois les critères posés, ce n’est plus aux politiques mais aux scientifiques spécialistes de la question de déterminer quels sont les modes de scrutin qui y répondent. Et s’il s’avère qu’il y en a plusieurs, d’autres considérations, comme la simplicité ou la clarté pourront être utiliser pour les départager. Certains objecteront peut-être que ces dernières qualités sont si importantes, puisqu’un citoyen lambda doit être à même de comprendre le mode de scrutin et pouvoir lui faire confiance, qu’on puisse envisager une entorse aux règles logiques et démocratiques pour les satisfaire. On pourrait craindre par exemple que le jugement majoritaire rende l’élection confuse et oblige à l’utilisation de machines à voter toujours suspecte, et que cette considération l’emporte sur la justice électorale. Or il se trouve qu’un autre mode de scrutin, qui possède essentiellement les mêmes vertus que le jugement majoritaire est à la fois simple, clair, et facile à mettre en place. Il s’agit du vote par assentiment. Le principe tient en une ligne : au lieu de placer un bulletin de vote dans une enveloppe, on a le droit d’en placer plusieurs. C’est le mode de scrutin qui a ma préférence.

Il est malheureusement très peu probable que ces questions essentielles apparaissent sous peu dans le débat politique, à l’exception peut-être du débat sur la proportionnelle aux élections législatives (alors qu’il ne devrait pas y avoir de débat puisque c’est le seul scrutin juste dans ce type d’élection). Mais l’expérience d’Orsay aura au moins le mérite de révéler que le choix des Français n’est peut-être pas aussi tranché qu’on veut bien le dire et relativisera bien des affirmations péremptoires sur la bipolarité qui aurait été soi-disant plébiscitée.