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La loi de Newton en question

4 Juin 2007, 17:29pm

Publié par Fabien Besnard

Je suis tombé récemment sur un article susceptible d’intéresser les lecteurs de Mathéphysique. Son titre, provocateur, est « Why do we still believe in Newton’ law ? ». Alexander Unzicker y soutient le point de vue que la cosmologie actuelle, avec sa constante de Hubble, sa constante cosmologique, sa matière noire, son énergie noire etc… rappelle la théorie ptolémaïque des épicycles, ce qui serait le signe qu’un changement radical de point de vue est nécessaire, et qu’il est temps de s’interroger sur la validité des principes et théories sur lesquels notre cosmologie repose, en particulier la relativité générale et sa limite en champ faible qui est la loi de Newton.

Unzicker passe tout d’abord en revue les tests expérimentaux de la loi de Newton et du principe d’équivalence, et fait la liste d’un certain nombre d’observations inexpliquées. Parmi celles-ci, on trouve bien sûr l’anomalie Pioneer : les deux sondes Pioneer 10 et 11 semblent subir une accélération anormale de l’ordre de 10-10 m/s² dirigée vers le soleil.

L’autre anomalie la plus évidente concerne la vitesse de rotation des étoiles des galaxies, qui ne correspond pas à ce qu’on peut calculer à partir de la masse de la matière visible en utilisant la loi de Newton. L’explication avancée est qu’il existe une grande quantité de masse invisible, la fameuse matière noire, dont la nature exacte est encore inconnue. La matière noire est invoquée également pour expliquer la structure de l’Univers sur des échelles encore plus grandes. Unzicker remarque que plus l’échelle est grande, plus la quantité de matière noire doit être grande. N’étant absolument pas un spécialiste de la question, je ne saurais dire si cette affirmation est correcte, mais si elle l’est, cela a de quoi rendre sceptique quant à l’existence de la matière noire. Si un cosmologiste traîne dans les environs, je serais très intéressé par des explications à ce sujet. L’autre « explication » possible de l’anomalie de rotation galactique est que la loi de Newton n’est plus valable pour les très petites accélérations. Une modification complètement ad hoc et a priori incompatible avec les principes les mieux établis de la physique a été proposée. Elle est connue sous le nom de  MOND  (Modified Newtonian Dynamics) et colle remarquablement bien aux données, du moins à l’échelle galactique. Dans le chapitre 13 de son livre « The trouble with physics », Lee Smolin traite également des observations astronomiques inexpliquées, et a ce mot à propos de la MOND : « Je dois avouer que, l’année dernière, rien ne m’a tenu plus éveillé la nuit  que ce problème. »

Unzicker évoque également le problème de « l’énergie noire ». Il rappelle qu’Einstein introduisit la constante cosmologique dans les équations de champ de la relativité générale afin d’obtenir une solution stationnaire pour l’Univers. La découverte de l’expansion de l’Univers, qu’Einstein aurait pu prédire s’il n’avait pas introduit sa constante, lui fit dire qu’il avait commis là « la plus grande erreur de sa vie ». Aujourd’hui les observations semblent montrer que l’expansion de l’Univers s’accélère, ce qui ne peut s’expliquer que par la présence d’une constante cosmologique. Comme cette constante peut s’interpréter comme une densité d’énergie présente même en l’absence de toute matière, on peut la voir comme une énergie du vide, ou encore comme une forme d’énergie inconnue, baptisée « énergie noire ». Unzicker considère qu’il s’agit là d’un paramètre ad hoc adopté pour sauver les apparences, et que l’on ferait mieux s’admettre que la théorie est prise en défaut. Je pense quant à moi qu’il n’y a aucune raison de supposer a priori que la constante cosmologique est nulle, car elle apparaît naturellement dans la dérivation des équations d’Einstein, et que ce n’est que pour des raisons de simplicité qu’Einstein l’avait initialement annulée. Il est de plus remarquable que cette constante puisse s’interpréter comme une énergie du vide, et il est donc très tentant de l’identifier à l’énergie du vide prédite par la théorie quantique des champs. Malheureusement, cette identification se révèle être la prédiction la plus fausse de toute la physique !

Unzicker énumère également des coïncidences amusantes et des problèmes ouverts, qui ont de quoi exciter l’imagination et la soif de découverte. Néanmoins la coïncidence la plus troublante est quand même que les trois phénomènes décrits plus haut (anomalie pioneer, anomalie des vitesses de rotation des étoiles dans les galaxies, et accélération de l’expansion de l’univers) soient du même ordre de grandeur, ainsi que le fait remarquer l’auteur. Si cela suggère fortement la mise en défaut de la loi de Newton à ces échelles d’accélération, cela ne donne aucune intuition sur ce qui pourrait la remplacer (la MOND ne semble fonctionner qu’à l’échelle galactique).

L’ensemble de l’article est agrémenté de citations amusantes, parmi lesquelles : « La grande tragédie de la Science : le meurtre d’une belle hypothèse par un horrible fait (T. Huxley) » ou encore : « Les cosmologistes sont souvent dans l’erreur mais jamais dans le doute. (L. Landau) ». Le tout est donc d’une lecture agréable et accessible. Cependant, on peut être en désaccord sur la philosophie générale de l’article qui est d’exposer des problèmes tous azimuts et d’espérer qu’il en sortira des idées nouvelles. L’article se conclut d’ailleurs par la fameuse citation de William Thomson (Lord Kelvin), qui se félicitait en 1900 des succès de la physique de son temps, et n’identifiait que « deux petits nuages dans un ciel radieux » : l’expérience de Michelson-Morley et le problème de la radiation du corps noir. On peut s’amuser de l’expression « petits nuages » pour qualifier les deux points de départ de ce qui allait devenir les théories révolutionnaires du XXe siècle, relativité et théorie quantique, ou au contraire louer la perspicacité de Thomson, qui avait su discerner parmi la foule des phénomènes inexpliqués à son époque quels étaient ceux sur lesquels il fallait insister. Par ailleurs, s’il est incontestable que c’est l’approche expérimentale et positiviste qui a présidé à la naissance de la théorie quantique, il n’en va pas de même pour la relativité. En effet, considérant l’expérience de Michelson-Morley, Lorentz avait établi les formules qui portent son nom bien avant Einstein, mais c’est ce dernier qui, par des réflexions théoriques, portant sur les principes mêmes de la physique, en a fourni l’interprétation physique correcte. Quant à la relativité générale, elle n’est assurément pas née d’une observation ne collant pas à la théorie Newtonienne (l’avance du périhélie de Mercure), mais bien d’une nécessité de cohérence théorique. Et c’est seulement dans un second temps, une fois la nouvelle théorie posée, qu’Einstein put en déduire une explication de ce phénomène et faire des prédictions nouvelles. On ne peut bien sûr pas savoir si c’est en partant de l’observation ou de considérations théoriques que l’on fera de nouveaux progrès. Depuis plus de 30 ans maintenant les physiciens travaillent sur la réconciliation nécessaire entre la physique quantique et la relativité générale, et ce pratiquement sans contact avec l’expérience puisque les échelles (d’énergie ou de longueur) en jeu semblent totalement hors de portée. Bien qu’ils aient fait d’énormes progrès, la solution n’est pas encore en vue. Cependant, si la lumière devait venir du côté observationnel, je parierais, sans craindre l’oxymore, sur le problème de l’énergie noire. Rassurez-vous, je ne me prends pas pour Lord Kelvin, mais c’est le conflit le plus apparent entre les deux théories fondamentales, et il semble bien que sa résolution ait un impact mesurable sur l’évolution du cosmos. Je ne serais pas surpris si cette question venait à jouer pour la révolution à venir en physique le même rôle que le problème de l’éther a joué pour la physique classique.