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Le Bac S de 2013 sera un sous-Bac D de 1993

29 Juin 2012, 09:25am

Publié par Fabien Besnard

Ce billet est né d'un agacement. Celui de se voir si souvent rétorquer des poncifs et autres idées reçues lorsque, en tant qu'enseignant de mathématiques, on a l'audace de se plaindre de voir sa matière si mal traitée par les réformes diverses. « Il n'y en a que pour les mathématiques en France », « C'est la matière de sélection », « Vous vous plaignez que le niveau baisse, mais vous disiez la même chose il y a 50 ans », etc.

 

Ces remarques sont généralement proférées par des gens qui ignorent tout de l'évolution du système éducatif français sur les 30 dernières années. C'est de leur seul passage sur les bancs de l'école qu'ils tirent leurs puissantes conclusions.

 

Face à cette illusion, ce miroir déformant du souvenir, dont, il faut bien le reconnaître, nous sommes tous un peu victimes, on ne peut opposer que des faits. Voici donc quelques données pour rappeler le contexte historique. Je les ai tirées en grande partie des articles de Daniel Duverney trouvés sur son site web, qu'il faut absolument lire. Je me suis contenté de mettre à jour les données et de les compléter avec les modifications entraînées par la nouvelle réforme.

 

 

Je me concentre ici essentiellement sur le cycle terminal, et je fais appel à vous pour compléter mes informations, notamment sur l'évolution des horaires, en classe de seconde, au collège et dans le primaire.

 

Voici d'abord un tableau résumant l'évolution des horaires obligatoires en maths, physique-chimie et SVT pour la filière scientifique.

 

tablesreunies4

 

Depuis 1994 les élèves de Terminale S doivent choisir un enseignement de spécialité de 2h hebdomadaire, soit en mathématiques, soit en physique-chimie, soit en SVT.

 

En se basant sur une année de 32 semaines de cours, voici un récapitulatif du nombre d'heures d'enseignement scientifique sur le cycle terminal suivant les spécialités :

 

cumul2.jpg

 

On constate tout d'abord une tendance marquée au « toujours moins de maths », le volume horaire maximal en mathématiques étant une fonction strictement décroissante du temps, si bien que dès l'année prochaine, un bachelier S spé maths aura fait moins de mathématiques en cycle terminal qu'un bachelier D de 1990. Il aura fait également moins de physique et moins de SVT. Est-il concevable qu'un futur ingénieur, un futur enseignant ou chercheur, soit bientôt moins bien formé en mathématiques et en physique qu'un médecin ayant passé son bac en 1990 ?

 

Précisons que la diminution des heures en seconde et au collège ne fait que renforcer la tendance que je viens de décrire. Et tout ceci se fait dans l'indifférence générale, alors que la suppression d'une partie des heures d'histoire-géographie en série S a eu un immense écho médiatique... Bien entendu, en disant cela je n'attaque en aucune façon cette matière respectable, je constate que d'une façon générale, en France, aujourd'hui, on se fiche éperdument des sciences. Mais quelles conséquences économiques et sociales pour demain ?

 

Lorsqu'ils sont confrontés à la brutale réalité des chiffres précédents, les nouveaux Pangloss et autres ravis de la crèche répondent parfois que, s'il est vrai que le niveau en sciences des nouveaux bacheliers ne peut que baisser par rapport à ceux de la génération précédente, il y a, en revanche, tellement plus de bacheliers que le niveau scientifique global de la population augmente. Le graphique suivant tord le cou à cette idée naïve, au moins pour les mathématiques.

courbep2

 

La courbe rouge indique le nombre de bacheliers scientifique ayant suivI le moins d'heures de mathématiques possible en terminale (bacheliers D en 1983, bacheliers S spé PC ou SVT en 2011), et la courbe bleue indique le nombre de ceux qui en ont suivi le plus possible (bacheliers C en 1983, bacheliers S spé maths en 2011). Précisons que le minimum était de 6h sur la période 1983-2002, et qu'il est tombé à 5,5 h sur la période 2003-201, et que le maximum était de 9h de 1983 à 1994, de 8h de 1995 à 2002, et de 7h30 de 2003 à 2011.

 

On constate ainsi que, malgré l'augmentation considérable du nombre de bacheliers scientifiques, dont témoigne la forte croissance de la courbe rouge, il y a aujourd'hui moins, en valeur absolue, de bacheliers ayant suivi le maximum d'heures de mathématiques qu'il y a 30 ans, et près de moitié moins qu'il y a 20 ans.

 

Ainsi, non seulement les « matheux » sont aujourd'hui moins bien formés en mathématiques, mais il y en a de moins en moins ! Le niveau ne baisse donc pas seulement individuellement mais globalement. Les deux phénomènes ne sont d'ailleurs pas indépendants, puisque, comme le rappelle Daniel Duverney, le niveau dans la matière détermine le choix de l'option. Autrement dit, il est difficile de s'intéresser à une matière pour laquelle on a été mal formé, avec des horaires indigents et un programme inepte.

 

 

Remarque concernant le graphique : pour les années 1983-2003 j'ai repris les courbes de Daniel Duverney, pour les années suivantes j'ai pris les données sur le site de la Depp (France métropolitaine+DOM, public+privé)

 

MAJ du 02/07/2012 : J'ai ajouté les horaires de seconde manquant, merci à Emmanuel Bourreau.

 

Par ailleurs je signale l'existence d'une pétition. Jetez un coup d'oeil à la liste des signataires :

 

  • Assemblée des Directeurs d'Instituts de Recherche sur l'Enseignement des Mathématiques (ADIREM),
  • Association des Femmes Ingénieurs (FI),
  • Association des Professeurs de Biologie-Géologie (APBG),
  • Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Public (APMEP),
  • Association des proviseurs des lycées à classes préparatoires aux grandes écoles (APLCPGE),
  • Association Femmes & Mathématiques,
  • Association Femmes & sciences,
  • Association Française des Femmes Diplômées des Universités (AFFDU),
  • Conférence des grandes écoles (CGE),
  • Conseil National des Ingénieurs et Scientifiques de France (CNISF),
  • Fédération française de sociétés scientifiques (F2S, regroupe la SFP, la SFO et la SEE),
  • Société Chimique de France (SCF),
  • Société de l’électricité, de l'électronique et des technologies de la communication (SEE),
  • Société de mathématiques appliquées et industrielles (SMAI),
  • Société française de physique (SFP),
  • Union des Professeurs de Physiologie, Biochimie et Microbiologie (UPBM),
  • Union des professeurs de physique et de chimie (UdPPC),
  • Union des professeurs de spéciales (UPS),
  • Union des professeurs des CPGE agronomiques, biologiques, géologiques et vétérinaires (UPA),
  • Union des professeurs enseignant les disciplines littéraires dans les CPGE scientifiques (UPLS)

 

et ce n'est pas tout, suivent un certain nombre de grands noms de la science, dont quatre prix Nobel et un médaillé Fields. Je crois que cette implication du monde de la recherche et de l'enseignement supérieur sur une question relative à l'enseignement secondaire est tout-à-fait exceptionnelle.

 

 

-Je suis en train de regarder l'évolution des horaires du collège, je mettrai à jour l'article quand j'aurai le temps.