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Nietzschéisme de gauche

4 Mars 2007, 20:59pm

Publié par Fabien Besnard

Je me suis toujours demandé par quel mystère l'intelligentsia de gauche française avait pu être autant influencée par la pensée de Nietzsche. J'ai toujours tenu Nietzsche pour un fossoyeur de la philosophie. L'anéantissement de la rationalité, l'exaltation de l'instinct, de la force, de l'intuition, tout cela me paraît anti-philosophique. Mais après tout je ne suis pas philosophe, et sûrement pourra-t-on me contester ce point. Mais s'il y a quelque chose de clair dans les écrits de Nietzsche, qui ne le sont pas toujours, c'est bien que ce philosophe (puisqu'il faut l'appeler ainsi) se situait politiquement quelque part entre l'anarchisme de droite et le proto-nazisme. Lorsque j'énonce ce fait d'évidence devant certaines personnes qui savent ce qu'il est de bon ton de penser, je provoque d'ordinaire des réactions outragées. Aussi ai-je lu avec une jubilation certaine l'ouvrage d'Aymeric Monville "Misère du Nietzschéisme de gauche, de Georges Bataille à Michel Onfray". Monville appuie là où ça fait mal, avec des citations sans ambiguïté. J'aurais aimé avoir la patience (et le talent) d'écrire un tel ouvrage. Morceaux choisis : "Les races épurées sont toujours devenues plus fortes et plus belles. Les Grecs nous présentent le modèle d'une race et d'une culture ainsi épurée. Il faut espérer que la création d'une race et d'une culture européennes pures réussira également un jour" (Aurore) ", "[En Europe], la race soumise a fini par y reprendre la prépondérance, avec sa couleur, la forme raccourcie du crâne, peut-être même les instincts intellectuels et sociaux, -qui nous garantit que la démocratie moderne, l'anarchisme encore plus moderne et surtout cette prédilection pour la Commune, la forme sociale la plus primitive, que partagent aujourd'hui tous les socialistes d'Europe, ne sont pas dans l'essence, un monstrueux effet d'atavisme -et que la race des conquérants et des maîtres , celles des aryens, n'est pas en train de succomber, même physiologiquement ?" (La généalogie de la morale) "Périssent les faibles et les ratés : premier principe de notre amour des hommes. Et qu'on les aide encore à disparaître !" (L'antéchrist) et pour finir "Que chacun ait droit d'apprendre à lire, cela gâte à la longue non seulement l'écriture mais la pensée elle-même" (Ainsi parlait Zarathoustra). Comme dit Monville, "il faut tout de même un fieffé don de contorsionniste pour nier quelque généalogie fasciste à l'auteur de ces propos".
Monville réalise également un instructif florilège des bêtises que les promoteurs d'un Nietzschéisme de gauche ont pu proférer en défense de leur maître à penser. Ainsi, pour Derrida : "Tous les énoncés, avant et après, à gauche et à droite, sont à la fois possibles (Nietzsche a tout dit, à peu près) et nécessairement contradictoires (il a dit les choses les plus incompatibles entre elles, et il a dit qu'il les disait. Outre le fait qu'on peut se demander l'intérêt d'une pensée auto-contradictoire, on nage en plein obscurantisme, comme le souligne Monville. Que des obscurantistes pires que médiévaux passent pour des hommes éclairés, voilà le vrai paradoxe du monde (post)-moderne... Je finis par Michel Onfray : "Nietzsche en auxiliaire du national-socialisme, voilà leur thèse; mais fort étrangement c'est aussi celle d'Adolf Hitler..." (M. Onfray, la sagesse tragique p. 20). Ben... oui. On s'étonne de lire des arguments de ce genre sous la plume d'un "philosophe". C'est en quelque sorte le comble du "qui parle et dans quel but ?" inauguré par Nietzsche dans sa généalogie de la morale : inutile d'argumenter rationnellement il suffit de dénoncer le locuteur et ses éventuelles arrière-pensées. En l'occurrence la méthode se retourne contre elle-même puisque si on peut faire confiance à Hitler pour quelque chose, c'est bien pour reconnaître un autre nazi...
Mon seul regret avec le livre de Monville, c'est la perspective trop strictement marxiste de son analyse des implications politiques du Nietzschéisme de gauche. Celui-ci sape les bases de la démocratie et en particulier de son incarnation Républicaine aussi sûrement que celles du marxisme.
Je vous recommande tout particulièrement ce petit livre, et j'espère que son auteur va s'attaquer maintenant à l'influence de Heidegger sur la gauche. J'espère enfin que le naufrage intellectuel de la gauche (devrais-je dire de la gauche intellectuelle ?) qui s'est progressivement détachée de l'esprit des Lumières, va maintenant faire place à une renaissance, sans laquelle aucune victoire électorale n'aurait de sens (si elle est seulement souhaitable dans ces conditions).