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"Popper avait tort"

22 Juillet 2005, 00:00am

Publié par Fabien Besnard

Une conférence internationale célébrant le centenaire des articles d’Einstein sur la relativité restreinte, l’effet photoélectrique et le mouvement brownien, s’est tenue cette semaine dans les locaux de l’Unesco à Paris.

Le début du 20e siècle a été marqué par trois révolutions en physique : la relativité restreinte, la relativité générale et la théorie quantique. Einstein a été directement à l’origine de deux d’entres elles, et a participé à la troisième en tant qu’acteur de tout premier plan non seulement par son hypothèse du photon, ou par la découverte de la condensation de Bose-Einstein, mais aussi par ses critiques et ses expériences de pensées (comme le fameux paradoxe EPR) qui ont permis à la théorie quantique de progresser.
Aujourd’hui la physique théorique est confrontée à un problème majeur, celui de réconcilier la théorie quantique des champs (issue de la convergence de la théorie classique des champs, de la mécanique quantique et de la relativité restreinte) et la relativité générale. La théorie la plus à la mode pour y parvenir est la théorie des cordes. Celle-ci suscite un débat passionné et passionnant portant sur les principes mêmes de la science. En voici un échantillon.

 

Thibault Damour a présenté pendant cette conférence un modèle cosmologique issu de la théorie des cordes dans lequel, si je me souviens bien, les constantes physiques varient pendant les premiers instants de l’univers avant de se fixer à leurs valeurs actuelles. Puis il a indiqué dans quelle mesure de futures expériences pourraient permettre de confirmer ce modèle. Carlo Rovelli a alors posé une question fort pertinente, qui à vrai dire me brûlait également les lèvres : est-ce qu’une expérience pourrait permettre d’invalider ce modèle, et si oui laquelle ? En effet, l'un des problèmes majeurs que rencontre la théorie des cordes est que trop de paramètres y sont ajustables, pour certains, cette théorie pourraient donc s'accomoder de n'importe quelle observation.

Or selon l’épistémologue Karl Popper, une théorie n’est scientifique que si elle est réfutable, c’est-à-dire si elle permet d’établir une prédiction sans ambiguïté qui, si elle ne se réalise pas, invalide la théorie. Si la théorie passe le test, on dit qu’elle est confirmée, mais cela ne signifie en aucun cas qu’elle est prouvée. De ce point de vue, on peut prouver qu’une théorie est fausse, mais jamais qu’une théorie est vraie. Donnons deux exemples très simples. L’énoncé « tous les corbeaux sont noirs » est un énoncé scientifique puisqu’il suffit d’exhiber un corbeau d’une autre couleur pour invalider cet énoncé. Jusqu’à présent (à ma connaissance), on n’a jamais observé que des corbeaux noirs, c’est donc un énoncé très bien vérifié expérimentalement. Au contraire, supposons pour les besoins du raisonnement qu’il soit prouvé que Dieu existe. Alors même dans ce cas, l’énoncé « Dieu est bon » ne serait pas scientifique, car même la plus abominable des catastrophes ne suffirait pas à l’invalider. En effet, les théologiens ont médité depuis des siècles sur l’existence du mal dans le monde et ils ont imaginé toutes sortes d’arguments, du plus simpliste (les voies du Seigneur sont impénétrables), au plus subtil (il existe une infinité de mondes possibles, tous sont pires, Dieu a choisi le meilleur des mondes possibles. Ainsi même de la catastrophe ou l’épidémie la plus horrible peut naître un bien si un futur dictateur est éliminé, qui aurait fait encore plus de morts s’il était arrivé au pouvoir…). La plupart des scientifiques et des philosophes rationalistes estiment que le critère de Popper est fondamental, même si certains le jugent incomplet ou que d’autres estiment qu’il ne s’applique pas universellement à toutes les sciences. Pour l’instant, la critique la plus virulente de Popper est venue de Paul Feyerabend, qui dans « Contre la méthode » a défendu une « théorie anarchiste de la connaissance », et un relativisme cognitif radical (tout se vaut, de la légende des titans à la physique atomique), qui de mon point de vue n’est qu’un ramassis de foutaises post-modernes. Il semble que l’auteur lui-même en ait convenu sur la fin de sa vie.

 

Mais revenons à la question de Rovelli. Quelle fut la réponse de Thibault Damour ? « Popper avait tort, il faut avoir une vision plus positive des choses.»

J’ajoute qu’il n’est pas le seul à penser de la sorte dans la communauté « cordiste ». Il semble donc qu’aujourd’hui un certain nombre de physiciens ne rechigneraient pas à échanger la méthode scientifique telle qu’on la pratique depuis Galilée contre une théorie qui n’a pour elle que sa beauté formelle pour qui veut bien la voir. C’est ce qui s’appelle lâcher la proie pour l’ombre.